Jentrai dans la pièce. Des gouttes de sueur sur les murs me glacèrent le sang. Non, me dis-je, ce nest que ma propre sudation sur mes verres de myopie. Je fis quelques pas. Six- pourquoi six ? il me semble aujourdhui quils nétaient que quatre- six juges sans diplôme mattendaient- six, peut-être parce que cela sonne comme sexe ou comme secte
-ils étaient donc six et étaient assis. Quétaient-ils donc ? Il me semblait quils nétaient que parce quils étaient. Au pluriel. Au singulier, ceût été sans doute très différent. Etait-ce des arbres? Les arbres donnent des fruits. Etait-ce des statues ? Les statues ne statuent pas sur la vie. Etait-ce des monstres ? Des insectes ? Des illusions ? Ils étaient alignés, lair grave- mais juste lair. Lun deux ouvrit la bouche. Il minvitait à masseoir. Pour que je sois au même niveau queux- mais cela il ne le dit pas. Alors à ce moment, je me reposai la question- peut-être était-ce la première fois et seul mon souvenir me la fait poser auparavant : Quétaient-ils donc ? Une bouche, sans doute est-ce un attribut humain. Mais comment pouvais-je être sûre de cette réponse ? Janalysai la situation. Les analysai eux. Comme eux mavaient déjà analysée- mais cela je ne le savais pas. Des panneaux pédagogiques pendaient au mur. Quelques photos étaient accrochées. Lemplacement de pays était indiqué sur une carte du monde. Monde. Jétais donc au monde. Ou du moins le connaissaient-ils. Je me retins de le leur demander. Eux, je lai déjà signalé, étaient alignés. Ils me voyaient, cela était sûr. Je pouvais donc conclure quils avaient des yeux. Tel un puzzle jassemblais les pièces pour découvrir ce qui sy cachait. Tel un enquêteur, je cherchais des pièces à conviction. Tel un artiste, je grattais frénétiquement pour donner forme à ma pensée. Une bouche et des yeux. Lun deux était homme- on ne peut plus douter. Des pièces à conviction, il men aurait fallu beaucoup plus tant cet épisode me semble résolument mensonge. Depuis, je me suis convaincue autrement : la vie peut être mensonge. Mon oreille frémit. Lun deux- était-ce lhomme ? avait émis un son. Un son, ce nest pas le terme exact. Une vibration que nous analysons son. Mes espoirs seffritèrent. Je ne compris pas ce quil avait dit. Et pourtant mes espoirs filèrent. Firent demi-tour. Prirent la porte. Adieu panneaux pédagogiques, adieu carte du monde. Moi, je restai là. Ma curiosité lemporta. Convaincue de comprendre. En attente dêtre convaincue. Mes interlocuteurs, sil mest permis dutiliser ce terme, avaient lair de bien sentendre. Ils blaguaient de leur humour qui nest certes pas le mien mais qui, à défaut de preuve contraire, leur convenait à merveille. Le son émis était à coup sûr une locution négative. Ce qui avait provoqué un premier départ. Pour tout dire, je pense quils attendaient juste confirmation de ce quils pensaient savoir depuis longtemps, avant de mettre les voiles. Le bâtiment présentait de longs couloirs qui se rencontraient en angle droit. Tout me semblait dans cette forme. Seuls ces personnages avaient laspect dêtres aux contours mal assurés et changeants. Jémis à mon tour un son en réponse au premier borborygme. Leur réaction mindiqua quils mavaient entendue mais ne présageait rien de bon quant à la suite des événements. Ils remuèrent de gauche à droite et davant en arrière comme sils étaient sur des sièges dune plaine de jeu. Ils se mirent tous à faire vibrer leurs cordes vocales tant et si bien que je narrivai plus à me maintenir sur la chaise. Une première fêlure apparut dans le béton du mur jusquau premier objet qui se présentait à elle. Jimaginai le dénouement de cette entrevue. Leur soudaine férocité me convainc de leur faim immense et je ne fus pas loin de penser que jallais finir tel un repas de fête. De plus si leurs yeux étaient un fait, ce quil leur apparaissait était nettement plus mystérieux et je pouvais fort bien avoir lair dune proie facile. Me vinrent à lesprit des images gargantuesques, des souvenirs de dîners de famille où je nétais plus à table mais sur la table. Les murs se remirent à transpirer abondamment. Je les avais identifiés humains. Mais, pensai-je en plongeant dans le passé, bien des fois tu pris un chat comme un ami, bien des fois tu hésitas à cliquer sur « cancel » lorsque lordinateur te proposait son aide, de peur quil ne se considère comme inutile. Pourquoi nen serait-il pas de même aujourdhui ? Nous voyons de lhumain partout. La fêlure avançait peu à peu et sapprochait de moi. Ce ne sera pas un festin de juges, le sol nous aura tous dévorés bien avant leur première bouchée. Une deuxième fente pointa à partir du mur perpendiculaire à notre position. Les murs sécrouleraient sans nous laisser le temps de sortir de cette immense assiette. Nous serons gobés. Sans distinction. Cétait des hommes. Enfin ma réponse était définitive. Elle se retourna vers moi : oui, ce sont des hommes, et si tu as douté de cette vérité cest que toi-même tu nen es pas. Les imaginant meilleurs, les imaginant plus droits, les imaginant à limage de ceux qui tont vu grandir. Alors fidèle à mes ancêtres, jouvris mes ailes et rejoignis mon milieu naturel. |
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